En 1874, Carl Vogt devint le premier Recteur de la nouvelle Université de Genève. En 2023, Eric Bauce, choisi par l’Assemblée de l’Université, en deviendra peut-être le nouveau Recteur. Il est frappant de voir le télescopage des controverses avec deux personnalités nées hors de Genève porteuses de choix de société. Osons la comparaison entre les deux figures et regardons l’enjeu pour l’Université.

 

Carl Vogt et Eric Bauce : les similarités à 150 ans de distance

A deux siècles de distance, les deux personnages ont des similarités étonnantes : Vogt et Bauce sont chacun des « naturalistes », l’un étudiant les vertébrés, l’autre les insectes. Les deux font une carrière académique hors de Genève, l’un à Giessen (Allemagne) l’autre à Québec (Canada). Les deux ont une expérience de direction universitaire. Les deux sont porteurs de projets sociétaux de leur temps : éducation pour tous pour l’un, transition socio-écologique pour l’autre.

A celles et ceux que cette comparaison choquerait, rappelons les mots de Johann Chapoutot professeur à Sorbonne Universités (Paris) et spécialiste de l’Allemagne au XIXe et XXe siècle : Vogt «a un profil qui serait celui de jeunes scientifiques brillants d’aujourd’hui, épouvantés par le négationnisme et l’inaction climatique des gouvernements, et qui s’engageraient dans la désobéissance civile ».

 

Les différences

A delà des ressemblances, Vogt et Bauce diffèrent de manière notable. L’aura scientifique de Vogt était à l’époque immense au point d’être cité par Charles Darwin dans l’introduction de The Descent of Man, en 1871. Rappelons que le racisme scientifique et le sexisme de Vogt ne sera reconnu qu’à notre époque. Les estimables travaux en entomologie de Bauce n’ont pas cette renommée.

La différence la plus pertinente entre les deux est leur connaissance locale de l’Université à diriger. Vogt était déjà actif dans l’Alma Mater depuis 1852 comme professeur de zoologie et dès 1870, il participa à la réforme de l’Académie fondée par Jean Calvin. Le professeur québécois Eric Bauce a dix années expérience comme vice-recteur de l’Université de Laval au Canada mais aucune à Genève.

 

La capacité de porter le projet est la question qu’il faut poser

L’exercice de comparaison par l’auteur de ces lignes vise à montrer que le choix d’une personnalité étrangère à Genève porteuse d’un projet actuel de société doit nous enthousiasmer aujourd’hui comme ce fut le cas au XIXe siècle. La véritable question est de savoir si Eric Bauce est capable de porter ce « un projet fédérateur et porteur d’avenir ». Même s’il nous n’est pas donné de connaître ce projet présenté à l’Assemblée de l’Université de Genève, créditons ce projet d’importance.

L’auteur de ces lignes fait remarquer qu’Eric Bauce parait bien plus un homme avec une carrière derrière lui à 3 ans de la retraite qu’un homme avec l’avenir devant lui. De plus, les raisons qui l’ont fait échouer à devenir Recteur à l’Université Laval en 2017 et 2022 ne sont pas évoquées dans la Cité du bout du lac. En l’état, il est très difficile de penser qu’Eric Bauce pourra porter un projet d’avenir et de transition socio-écologique.

 

L’enjeu pour l’Université de Genève est de remonter la pente

L’enjeu avec la confirmation du futur recteur a été déjà largement commenté dans les pages du journal Le Temps avec la rédactrice en cheffe, un professeur honoraire d’histoire et un écrivain connu. Leurs arguments valent véritablement d’être lus par celles et ceux qui s’intéressent à l’avenir de l’Université de Genève.

Votre serviteur pense que l’enjeu est encore plus crucial au vu de la baisse de l’Université de Genève dans les rankings ces dernières années et de la tourmente dans laquelle est plongée l’Université avec l’agitation sur les conférences internes et sur la commission Carl Vogt. Ces rankings sont importants pour attirer les talents des étudiants comme les jeunes académiques. Il faut le réaliser : l’Université de Genève n’a plus le même rang qu’il y a vingt ans. Un nombre important de ses talents est parti ailleurs dont Lausanne et Zürich au bénéfice de ces académies. Les exemples en biologie et en astronomie sont bien connus. De plus, le rectorat actuel est sous l’accusation de ne pas défendre la liberté académique avec des esclandres lors de trois débats dans ses murs en 2022. Les difficultés extérieures (exclusion d’Horizon Europe) et intérieures mettent en péril l’Université.

Les signaux d’alarmes s’accumulent sur l’Alma Mater de Genève. Il est temps que son autorité de surveillance, le Conseil d’Etat, se penche avec courage et sans biais politique sur le choix du nouveau Recteur. Construire l’avenir de l’Université est plus important que de suivre formellement l’esprit de la loi.

 

Note :
– Les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique pour faciliter la lisibilité du texte. L’information présentée s’applique à tous les individus indépendamment de leur sexe et leur genre à moins que le contexte ne l’indique autrement

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